Les moulins de Barbegal L' étude des tracés Nord et Sud des aqueducs sur la commune de Fontvieille nous conduit tout naturellement jusqu' au point de rencontre de ces deux ouvrages dans le bassin de convergence (existant mais non visible). Si depuis le bassin nous suivons les deux aqueducs qui sont maintenant côte à côte, nous arrivons à la pierre trouée derrière laquelle se trouvent les vestiges de la meunerie romaine de Barbegal (Jacques LUCAS).
Situé
sur la commune de Fontvieille, immédiatement au sud du Vallon des Arcs qui doit
son nom aux restes des ponts aqueducs qui le franchissaient, au-dessus de la
Vallée des Baux, le site archéologique des moulins de Barbegal est un site rural d'une importance majeure.
Le monument a fait l'objet de deux campagnes de fouilles, en 1937-1939,
puis en 1992-1993. Les
moulins de Barbegal : un bâtiment industriel L'identification
des vestiges de Barbegal comme ceux d'un moulin industriel est due à Fernand
Benoit qui en dirigea les fouilles de 1937 à 1939. Jusqu'alors, le site de
Barbegal faisait l'objet de deux interprétations : s'agissait-il d'un
réservoir destiné à l'un des deux aqueducs conduisant à Arles les eaux des
Alpilles ou d'une installation industrielle ? Les trois campagnes de
fouilles confirmèrent la seconde hypothèse et en précisèrent la nature. Il
s'agissait bien de moulins
Organisation générale Deux facteurs topographiques en expliquent la
localisation en ce point. Le versant sud du chaînon sur lequel ils sont
implantés offrait une pente propice à l'utilisation optimale de la force
hydraulique motrice. Les fouilles permirent à F. Benoit de décrire
l'architecture générale du bâtiment. Long de 61 mètres pour 20 mètres de large,
il comporte deux ensembles symétriques s'organisant dans le sens de la longueur
(nord-sud) de part et d'autre d'un escalier monumental. Cet escalier partait
d'une galerie d'accès située en bas. De chaque côté, vers l'extérieur, huit
biefs étaient aménagés l'un au-dessous de l'autre, définissant deux
"trains" de huit chutes actionnant seize roues. Entre l'escalier
central et chaque bief étaient édifiées les chambres abritant les mécanismes de
mouture. Selon les niveaux, la meule se trouvait à l'étage supérieur ou
inférieur de la chambre. Dans les chambres inférieures, le fond du bief était
au niveau de la fosse du moulin et les meules étaient placées sur un étage
supérieur ; la transmission se faisait de bas en haut. Les biefs étant en
surélévation dans les chambres supérieures, la transmission se faisait de haut
en bas et les meules se trouvaient au-dessous de l'engrenage. Ce dispositif
permit de placer un maximum de chambres dans la pente. La fouille de l'angle sud-est du bâtiment a permis d'en compléter le plan. Le mur qui avait été reconnu à 6,15 m des deux chambres inférieures occupait le fond d'un portique de façade fermant les moulins. Le bâtiment est en effet inscrit dans une enceinte dont les murs latéraux sont conservés dans la partie inférieure. Le mur sud de cette enceinte est situé à 19 m du fond du portique. Il délimitait une sorte d'avant-cour où aboutissaient les deux émissaires évacuant les eaux qui avaient actionné les deux trains de roues. L'émissaire oriental a été fouillé. Long de 20,10 m, son conduit voûté déversait les eaux dans un fossé de 5 m de long qui les évacuait à l'extérieur de l'enceinte. Le système de mouture Les spécialistes s'accordent à souligner le
caractère savant du dispositif et des mécanismes. Une goulotte de bois amenait
l'eau en avant de la roue. Elle tombait dans les augets ("par en
dessus"), qui, une fois remplis, faisaient tourner la roue par leur poids
; la rotation s'effectuait dans le sens du courant. Plus difficile à mettre en
oeuvre que le système de la turbine et celui de la roue "par en
dessous", ce système n'était pas le plus commun dans l'Antiquité. Mais il
était le plus efficace. Dans l'enthousiasme de la découverte, un ingénieur
avait évalué à 28 t. de farine par jour la production de l'usine. En fait, elle
devait être bien inférieure et ne pas dépasser 4,5 t., ce qui est déjà
considérable et assure la fourniture journalière de 350 gr de farine à 12 500
personnes, la population d'un centre urbain romain comme Arles.
Les fouilles effectuées en 1991 n'ont pas porté sur
le bâtiment des moulins. Le système d'engrenage n'a
pour l'heure fait l'objet d'aucune étude scientifique. Celle-ci devra faire appel
à la collaboration de spécialistes, hydrauliciens et archéologues des
techniques, capables de restituer des mécanismes à partir des traces qu'ils ont
laissées sur les architectures et en prenant en compte les contraintes imposées
à la mouture par les meules. Cependant la découverte in situ de quatre fragments
de catillus (meule courante) et deux fragments de meta (meule dormante) permet de préciser les
caractéristiques des meules. Elles sont dans les normes des moulins romains
hydrauliques connus. Leur diamètre est modeste ; leur profil assez marqué,
encore proche de celui des meules de Pompéi, tend à se rapprocher de celui des
moulins domestiques. La mobilisation des meules courantes était assurée
par deux crampons de fer scellés au plomb dans leur face supérieure. Ce
matériel est caractéristique du haut Empire. Aucun fragment de meule dont on
peut être assuré qu'il vient du site n'est attribuable à la fin de l'Antiquité.
Les
meules de Barbegal sont en basalte. Dans une étude qui avait l'ambition de
couvrir l'ensemble de la Méditerranée, O. Williams-Thorpe avait suggéré
qu'elles venaient des carrières de Volvic près du Puy-en-Velay. L'analyse
d'échantillons sur le plan microscopique n'écarte pas cette hypothèse, à la
différence de celles d'une provenance des gisements de Baulieu, du Var ou
d'Agde. Toutefois les laves de Volvic étant les basaltes les plus ubiquistes
qui soient, d'autres provenances sont possibles : les plateaux du Mézenc
et le Coiron, mais également une origine italienne qui n'a pas été
recherchée. Les moulins dans l'histoire naturelle de la vallée des Baux F. Benoit avait suggéré que la fabrique
était reliée à la ville d'Arles par une voie navigable. Cette
restitution était justifiée par la présence hypothétique d'un vaste plan d'eau
continu da la vallée des Baux et la plaine d'Arles. Il aurait permis la
circulation de radeaux amenant les grains à l'usine et en rapportant la farine.
Actuellement les drainages ont totalement modifié le paysage de la plaine
d'Arles ont fait de la Vallée des Baux un polder continental. Mais cette
hypothèse « de bon sens » se fondait sur une approche de l'histoire
du milieu consistant à le restituer à partir des plus anciens témoignages
disponibles. Or au XVIIe s., la vallée des Baux était totalement
occupée par un étang dont tout laissait penser qu'il était en place depuis la
fin du néolithique. C'est l'hypothèse qui a été retenue pour la maquette
exposée au Musée de l'Arles antique. En bas des moulins, elle restitue un quai
permettant l'abordage d'embarcations adaptées à la navigation lagunaire. Les fouilles n'ont pas permis la découverte de
l'installation portuaire attendue. Au contraire, les géomorphologues aixois qui
ont restitué dans ses grandes lignes l'histoire naturelle de la dépression ont
montré que l'Antiquité correspondait à une période de bas niveau des eaux dans
la Vallée des Baux. De ce fait, l'hypothèse d'un quai permettant l'abordage
doit être abandonnée. La chronologie : La
durée de fonctionnement de l'usine La date de construction des moulins La découverte majeure des fouilles qui ont été
conduites sur le site entre 1989 et 1993 est la mise au jour et la fouille d'un
bassin situé trois cents mètres au nord des moulins. Avant la construction des
moulins, il assurait la convergence des deux branches de l'aqueduc d'Arles. Une
prise d'eau située à quelques mètres du bassin dérivait vers une nouvelle
conduite les eaux venues de la branche orientale (« aqueduc des
Baux » ou « de Caparon ») désormais affectée aux moulins. Cette
découverte a permis de préciser le fonctionnement général du système
hydraulique. Contrairement à ce qui avait été
proposé à la suite des fouilles de F. Benoit, les moulins ne datent pas de la
fin de l'Antiquité, mais sont contemporains de l'apogée de la cité d'Arles. Le
pont-aqueduc qui a été élevé à partir de la dérivation mise au jour est bâti en
maçonnerie de blocage parementé en petit appareil régulier. Le grand appareil y
est utilisé à la base des piles et pour les impostes. Cette technique qui se
retrouve dans les moulins donne un terminus. Alors que dans son premier état le
pont de l'aqueduc d'Arles qu'il jouxte est construit en grand appareil,
celui-ci a été bâti postérieurement au changement technique qui assure en Gaule
Narbonnaise le succès de la construction en blocage parementé en petit
appareil, ce qui le place au plus tôt à la fin de l'époque flavienne. Une donnée
stratigraphique précise permet d'approcher une date absolue. L'ancien bassin de
convergence avait été construit en grand appareil, comme le pont de l'aqueduc
d'Arles dans son premier état. Son radier a été refait avant les remaniements
occasionnés par la construction des moulins, à une date que donne une monnaie
incluse dans la maçonnerie : un as de Trajan frappé entre 103 et 111. Une
seconde série de données a été fournie par les fouilles de l'exutoire oriental
des moulins. Le canal de fuite déversait les eaux dans un fossé qui les
évacuait à l'extérieur de l'enceinte des moulins. À la sortie de l'exutoire
maçonné, une chute d'eau a creusé dans les marnes une cavité où un lot de
céramiques y a été piégé. Cet ensemble donne une date qui correspond aux années
260/270, celle qui était proposée par F. Benoit pour dater les moulins. Mais il s'agit de l'arrêt de son
fonctionnement. Les moulins ont donc fonctionné au IIe
siècle et dans la première moitié du IIIe siècle. À l'intérieur de
cette fourchette chronologique, il faudra préciser la durée réelle de ce
fonctionnement.
La
propriété de l'usine Aucune
donnée archéologique ne permet de connaître l'appartenance des moulins. Selon
F. Benoit, « impériale plutôt que municipale », la fabrique dépendait
des services de l'annone. La date qui est maintenant proposée invite à exclure
toute relation avec l'annone militaire. D'autres ont proposé d'y voir une
propriété de la ville d'Arles ou celle d'une société regroupant plusieurs villas
de la région. Mais, en fait, le site ne peut pas être compris indépendamment de
la villa partiellement reconnue quelques centaines de mètres à l'est.
L'hypothèse la plus probable est qu'elle appartenait à son propriétaire. Barbegal dans l'Antiquité Tardive Au IVe siècle, les moulins avaient perdu
leur place dans le ravitaillement d'Arles en farine. Si Saint Césaire a vu
fonctionner des moulins, ceux-ci pouvaient fort bien êtres
installés sur le Rhône ou sur des dérivations du fleuve. Le
site de Barbegal ne fut probablement pas abandonné. La découverte d'inhumations
datées de la fin de l'Antiquité au pied des moulins et, un peu plus loin,
à proximité de la villa de La Mérindole, -elle aussi abandonnée-, celle d'un
petit cimetière d'époque carolingienne montre que l'occupation agricole de la
Vallée des Baux a été plus continue et plus longue qu'on ne le croyait. Le
secteur continua à être habité jusqu'au Moyen Âge. Au IIIe
s., les moulins qui avaient cessé de fonctionner ont probablement servi de
carrières à l'occasion des travaux de consolidation et de réfection partielle
dont le pont de l'aqueduc d'Arles a fait l'objet. Des paysans se sont installés
dans les bâtiments abandonnés et ont sensiblement modifié l'architecture de ses
élévations. Ce sont eux dont les tombes ont été reconnues au pied des moulins. Cette
réoccupation explique que le bassin amont ait été remis en communication avec
le bâtiment des moulins, mais dans le sens opposé à son utilisation première.
Dans la partie supérieure du canal qui, au Ier s., y faisait
converger les eaux de l'aqueduc de Caparon, on observait une vanne permettant
au personnel chargé de l'entretien de l'aqueduc d'Arles de contrôler le débit
de l'eau délivrée aux nouveaux occupants pour subvenir à leurs besoins. La persistance d'une occupation explique que
la toponymie ait longtemps conservé le souvenir des anciens moulins : un
acte de 1040 nomme une tour quam vocant
molinos centum, Ces « Cent Moulins » seraient l'ancienne usine. Philippe
Leveau, septembre 2008 |
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